4 saisons

Les chrétiens d'Orient : une épopée de foi

 

Les bâtisseurs de l’Église

Jean Mohsen Fahmy

Les chrétiens d’Orient sortent peu à peu de l’ombre. À la suite des multiples tragédies du Moyen-0rient, nos médias commencent à s’y intéresser. Mais qui sont donc ces gens d’un Orient un peu flou?

Le mot Orient a eu maintes significations dans l’histoire; il y a eu tour à tour l’Orient de l’Antiquité, qui désignait tout ce qui est à l’est de l’Europe, puis le Proche-Orient qui, pour la France, désigne l’est de la mer Méditerranée, c’est-à-dire la Syrie, le Liban, l’Irak, la Jordanie, la Palestine et Israël, et enfin, le Middle-East des Anglo-Saxons, une région un peu floue, comprenant, en plus du Proche-Orient, notamment l’Égypte et quelquefois l’Iran.

Pourquoi nous devrions nous intéresser, aujourd’hui plus que jamais, au destin de ces communautés de fidèles qui parlent l’arabe, prient en arabe et invoquent Dieu et le Christ dans la langue de Mahomet? La réponse est évidente. Je voudrais vous lire à cet égard un texte la résumant fort bien. Il s’agit d’une lettre adressée aux chrétiens d’Orient :

Chers frères et sœurs,
J’ai pensé à vous écrire, frères chrétiens du Moyen-Orient… à l’approche de Noël, sachant que pour beaucoup d’entre vous, aux chants de Noël se mêleront les larmes et les soupirs… Chers frères et sœurs, qui avec courage rendez témoignage à Jésus en votre terre bénie par le Seigneur, notre consolation et notre espérance c’est le Christ lui-même. Je vous encourage donc à rester attachés à Lui, comme les sarments à la vigne, certains que ni la tribulation, ni l’angoisse, ni la persécution ne peuvent vous séparer de Lui (cf. Rm 8, 35).

L’auteur de cette exhortation aux chrétiens d’Orient? C’est le pape François lui-même leur écrivant une longue lettre à la veille de Noël 2014, et dont je ne cite qu’un court extrait.

Persécution, a écrit le pape ! Le mot est sans équivoque. Les chrétiens d’Orient ne sont pas seulement les victimes des circonstances politiques ou des enjeux de la géostratégie. Ils sont ciblés par certains groupes intégristes, nommément, spécifiquement, comme le dit François plus loin, et je le cite, « pour le seul fait d’être chrétiens ».

Or, le sort des chrétiens d’Orient, sinon leur existence même, sont souvent ignorés de la grande majorité des Occidentaux. Ils sont non seulement ignorés, mais même souvent traités avec une tranquille indifférence, sinon un haussement d’épaules.

Ainsi, en Amérique du Nord, leur sort est passé sous silence dans la plupart des médias. Au Canada anglais, une forme de rectitude politique rigide entraîne le silence devant certaines exactions, tandis qu’au Canada français, à cause d’une longue histoire au cours de laquelle l’Église et ses représentants ont trop souvent projeté une image triomphaliste, la notion même de chrétiens persécutés peut sembler incongrue.

Mais l’Europe, à cause de l’histoire et de la géographie, est plus sensible à cette question. Ainsi, un grand magazine français, Le Point,  a consacré un dossier à cette question sous le titre : La Chasse aux chrétiens. Un autre, L’Obs, a fait de même sous le titre : Ces chrétiens qu’on persécute. Un autre journal français n’a pas hésité à mettre en première page : Le calvaire des chrétiens, associant ainsi le sort réservé aujourd’hui à certains chrétiens à la Passion même de Jésus.

Cette persécution touche donc les chrétiens arabes. Cependant, pour de nombreux Occidentaux, ‘Arabe’ et ‘chrétien’ semblaient jusqu’à récemment un amalgame incongru. Mais les actualités ne nous permettent plus le confort de l’ignorance. Nous assistons, en direct, à la persécution de certains d’entre eux, quelquefois terrible.

À côté de l’arabe, la liturgie des chrétiens d’Orient se célèbre aujourd’hui dans des langues dont certaines remontent au temps de Jésus et des apôtres. Ils sont enracinés dans leurs pays depuis deux millénaires.

Faut-il rappeler que Jésus est né, a vécu et est mort au Moyen-Orient? Faut-il rappeler que Pierre, et Paul, et Jacques, et tous les autres, étaient des « Moyen-Orientaux », pour reprendre notre terminologie d’aujourd’hui?

Voyons donc : si nous devions utiliser le vocabulaire actuel, saint Augustin et saint Cyprien seraient tunisiens. Saint Athanase, saint Cyrille, saint Pacôme, sainte Catherine d’Alexandrie, saint Antoine le Grand, saint Paul l’Ermite seraient « coptes ». Saint Ignace d’Antioche, saint Jean Chrysostome, saint Jean Damascène seraient « syriens ». Saint Basile le Grand et saint Grégoire de Nysse seraient « turcs ».
                                  
L’histoire des chrétiens d’Orient a donc commencé au lendemain même de la Résurrection du Christ.

 

Première évangélisation, premières missions

Les apôtres se souviennent alors qu’avant de monter vers son Père, Jésus leur avait déclaré : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit » (M t 28, 18-20).

À partir de Jérusalem, ils partent sur les routes du monde antique. On peut imaginer qu’ils suivront aussi les recommandations de leur maître et n’emporteront avec eux « rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent… » (Lc 9, 3).

Paul de Tarse, avec Barnabé, Marc, Luc ou Timothée, va donc évangéliser le nord de la Syrie, l’Asie Mineure, la Macédoine, puis la Grèce, avant de se rendre à Rome rejoindre Pierre, où les deux vont trouver une mort violente par fidélité à ce Jésus que l’un avait connu en chair et en os, et qui avait foudroyé l’autre, un jour, sur le chemin de Damas.

Mais Paul n’est pas seul. Même si les voyages des autres apôtres ne sont pas historiquement assurés, des traditions, quelquefois fort anciennes, racontent certains de leurs périples.

Ainsi, il y eut Thomas, le sceptique Thomas, qui partit évangéliser l’Inde, où il mourut martyr. Il y eut l’évangéliste Marc, secrétaire de Pierre qui évangélisa l’Égypte. Quant à Philippe, il porta la bonne nouvelle aux Scythes, une population du nord de l’Asie mineure. Barnabé, lui, compagnon de Paul et cousin de Marc, évangélisa Chypre. Enfin, Barthélemy annonça l’Évangile aux tribus bédouines de la péninsule arabique.

Au premier siècle, donc, les premières Églises se trouvent dans les grandes métropoles de l’Orient : Alexandrie, Antioche, Byzance, Jérusalem. Puis, au second et au troisième siècles, tout l’Orient est parsemé de communautés chrétiennes. Et cette multiplication des nouveaux adeptes amène, dès les premières décennies après la mort du Christ, des défis d’organisation. Comment va-t-on mener un troupeau de plus en plus nombreux ?

Les apôtres et leurs successeurs nomment donc des episcopoi (mot grec signifiant ‘superviseurs’), qui deviendront les évêques. Mais ceux-ci ne suffisent pas à la tâche : ils s’adjoignent des ‘anciens’ presbiteroi, prêtres) et des ‘servants’ (diakonoi, diacres).

On reconnaît là la structure pastorale et administrative de l’Église, telle qu’elle n’a guère changé depuis deux mille ans; les premiers chrétiens d’Orient sont les bâtisseurs de ce solidement édifice.

Cependant, l’Empereur romain réagit bientôt avec inquiétude devant la multiplication des convertis. Des habitants de l’Empire de plus en plus nombreux embrassent cette nouvelle foi. Et ce ne sont plus, comme au début, des pauvres ou des esclaves. Des militaires, des riches, de hauts fonctionnaires, des philosophes et même, dès le début du IIIe siècle, des proches de l’Empereur, demandent le baptême.

L’agacement puis la colère de Rome vont se traduire par de violentes persécutions contre les chrétiens. Or, la majeure partie des martyrs venaient des Églises d’Orient. Leur concentration dans les marges du sud et de l’est de l’Empire les rendait plus visibles et il était donc plus facile de les sommer de renoncer à leur foi et, en cas de refus, de les martyriser.

La liste des persécutions est sinistre : il y a celle de Domitien en 95, celle de Marc-Aurèle en 180, puis le IIIe  siècle déclenche un ouragan de fer et de feu sur les disciples du Christ : persécution de Dèce en 250-251, celle de Valérien en 257, et enfin, pour couronner le tout, celle de Dioclétien, en 303-305.

 

La persécution de Dioclétien

Cette dernière nous intéresse tout particulièrement car elle a été une période sombre dans l’histoire des chrétiens, surtout ceux de l’Orient.

Dioclétien était un empereur énergique et compétent, arrivé au pouvoir en l’an 285. Comme les Barbares attaquaient de partout l’Empire romain, Dioclétien avait besoin d’une mobilisation de toute la société, d’une forme d’union sacrée contre l’ennemi.

Cette union devait se faire autour de la personne de l’Empereur : on devait lui rendre des honneurs divins en brûlant de l’encens devant ses statues; partout, les responsables romains reçurent l’ordre d’appliquer cette politique de façon rigoureuse.

Le préfet romain d’Alexandrie se montra particulièrement zélé : la persécution des chrétiens égyptiens refusant d’obtempérer fut d’une cruauté inouïe; partout, les chrétiens n’abjurant pas leur foi étaient arrêtés, brûlés vifs, crucifiés, noyés dans le Nil; ainsi, sainte Catherine d’Alexandrie, une jeune fille de 18 ans (dont l’existence n’est pas historiquement avérée), serait morte décapitée.Il y eut ainsi, en quelques années, 10 000 martyrs en Égypte.

Cette persécution eut une conséquence majeure : elle marque la vraie naissance de l’Église d’Égypte. Ce baptême de sang a enraciné pour longtemps la foi au Christ dans le peuple du Nil. Et l’acharnement de l’empereur fut, par ailleurs, le dernier baroud d’honneur du paganisme face au christianisme; en effet, moins d’une décennie après la retraite de Dioclétien, le nouvel empereur, Constantin, met fin à la chasse aux chrétiens, avant de se convertir : la foi en Jésus allait s’imposer partout dans l’Empire, avant de devenir, moins d’un siècle plus tard, religion d’État.

 

Les grandes controverses

Pendant ces premiers siècles, l’Église devait également affronter des dangers de l’intérieur. C’est, en effet, pendant les cinq premiers siècles de notre ère que des débats, souvent passionnés, et des querelles, quelquefois violentes, entre différents penseurs chrétiens, ont mené à la définition des dogmes, à la fixation des mots de la foi. Et, dans cette aventure passionnante, les chrétiens d’Orient ont été au premier rang des défenseurs de la foi.

Il serait fastidieux et interminable de raconter en détail toutes les querelles théologiques des premiers siècles. Qu’il suffise de dire qu’Alexandrie ne tarde pas à devenir, au IIe siècle, le centre du christianisme hellénistique et les Alexandrins éprouvent le besoin de mieux s’informer afin de fixer et de transmettre en termes clairs les enseignements de la foi. À la fin du IIe siècle, ils créent ainsi une des institutions chrétiennes les plus influentes de l’Antiquité, le Didascalée.

Le Didascalée est la première école théologique de tout le monde chrétien. Fondée vers 180, elle va occuper une place centrale dans les grands débats de l’Église des débuts. Elle attirera certains des plus grands penseurs et théologiens chrétiens : Clément d’Alexandrie, Origène d’Alexandrie, Grégoire de Naziance et surtout Athanase et Cyrille.

Comme les hérésies commencent à se multiplier, l’Église doit vite réagir. Elle adopte tout d’abord au IIe siècle le canon des Écritures : quels livres disent la foi authentique? Lesquels faut-il rejeter? Comment s’articule le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testaments?

Cette réaction de l’Église est d’autant plus nécessaire que les débats commencent à toucher au point fondamental de la foi chrétienne : la nature du Christ. Jésus était-il seulement homme? Était-il seulement Dieu, sous une forme humaine? Était-il Dieu et homme à la fois, et si oui, sous quelles modalités? Et puis, cette question en amène une autre : quel est le rôle et la place de l’Esprit Saint dans cette théologie?

Déjà Ignace d’Antioche, un Syrien, défend au début du IIe siècle, la vraie Incarnation du Christ, face à ceux disant que l’humanité de Jésus n’était qu’apparence ; ses lettres montrent aussi sa foi en la Trinité; ses écrits formulent, après saint Paul, les premiers éléments de la définition théologique de l’eucharistie.

Mais les grandes querelles sur la nature du Christ vont éclater dès la fin des persécutions, et mettront en scène certains des plus grands géants de la pensée et de la théologie chrétienne, et notamment deux Égyptiens, Athanase et Cyrille.

 

Athanase, « Colonne de la Foi » OU
Athanase, défenseur de l’orthodoxie

Le nom d’Athanase est pour toujours lié à celui d’Arius. Les deux sont Alexandrins. Arius est ordonné diacre, puis prêtre, et commence à prêcher que Jésus, le Fils, puisqu’il est engendré du Père, lui est inférieur. Devant ce qu’il considère une abomination, un jeune homme du nom d’Athanase se rebelle.

Mais qui est donc ce jeune d’à peine vingt ans osant se dresser contre une figure emblématique du clergé alexandrin?

Né dans une ville du Delta égyptien, Athanase devient prêtre très jeune et rédige le premier texte connu de réfutation de la pensée d’Arius. Mais comme l’Église est déchirée, une importante réunion des évêques est convoquée en 325 à Nicée, tout près de la nouvelle capitale de l’Empire, Constantinople (l’ancienne Byzance et l’actuelle Istanbul).

Athanase défend vigoureusement à Nicée, l’égalité de nature du Père et du Fils ; il est le rédacteur du Symbole de Nicée, le ‘Je crois en Dieu’ que nous récitons aujourd’hui; à la fin du concile, il est nommé évêque d’Alexandrie à l’âge de 30 ans.

Toute sa vie durant (il va mourir en 373), Athanase défendra l’orthodoxie de la foi, ce qui lui suscite mille adversaires et lui vaut mille épreuves. Ses écrits précisent de plus en plus le dogme de la consubstantialité, la radicale identité entre le Père et le Fils. Il définit aussi de façon rigoureuse la divinité de l’Esprit. La manière dont, aujourd’hui, nous exprimons la divinité de Jésus, est due en grande partie aux écrits et aux combats d’Athanase.

Athanase est considéré par les chrétiens de toute obédience comme l’un des grands défenseurs de la foi. L’Église copte-orthodoxe lui donne le titre de « Colonne de la foi », tandis que, pour les catholiques, il est Docteur et Père de l’Église.

Athanase n’a pas été le seul à combattre pour la foi. Un autre grand géant d’Égypte, saint Cyrille, va reprendre le flambeau, un siècle plus tard. Et, pendant cet intense bouillonnement théologique, une révolution silencieuse et discrète se prépare dans les déserts d’Égypte : le monachisme naît alors dans le silence et la solitude, et ses fruits innombrables irriguent encore aujourd’hui l’Église.
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*Jean Mohsen FAHMY est un écrivain canadien né en Égypte. Il est l’auteur de nombreux romans, récits et essais, couronnés de plusieurs prix littéraires. Fortement impliqué en Église, il a également été Président de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, et Président-fondateur de la Table de concertation du livre franco-ontarien.

 

Revue EN SON NOM, Vie consacrée aujourd'hui
Vol. 74 No. 5 / Novembre - décembre 2016

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