La lectio divina :
écoute priante de la Parole de Dieu
Yvon Joseph Moreau, O.C.S.O. note
évêque du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière
La lectio divina est une expérience de foi aimante, guidée par l’Esprit Saint. Si elle exige l’amour de Dieu et de sa Parole, elle est surtout le fruit de cet amour de Dieu et de sa Parole à l’œuvre en nos coeurs. Vécue personnellement dans le silence et la prière, ou partagée en groupe, elle nous prépare à toujours mieux accueillir la Parole de Dieu proclamée dans la liturgie. Elle permet aussi de vivre un prolongement plus intime et intériorisée à la Parole accueillie et célébrée en Église.
La présentation la plus brève et la plus juste que nous puissions trouver de la lectio divina est, à mon point de vue, celle que nous offre Benoît XVI dans l’Exhortation apostolique post-synodale La Parole du Seigneur, au numéro 86. Pour ma part, je vous partage ici un résumé de l’approche que j’ai développée dans le petit livre Écouter Dieu (Médiaspaul, 2016, 122 p.). Je précise tout de suite que les étapes de la lectio, présentées successivement, ne sont pas séparées par des cloisons étanches : il s’agit d’une expérience dynamique où ces diverses étapes s’éclairent et s’enrichissent mutuellement.
Avant même d’ouvrir notre Bible, demandons d’abord à l’Esprit Saint d’ouvrir notre esprit et notre cœur. C’est lui qui transformera l’Écriture inspirée en Parole inspirante pour notre vie. Sans l’action efficace de « l’Esprit de vérité » (Jean 14, 16), rappelle avec raison Benoît XVI, on ne peut comprendre les paroles du Seigneur (no 16).
Lire et écouter la Parole
La première étape est une lecture attentive afin de découvrir d’abord ce que dit la Parole. Comme l’affirme Benoît XVI : Sans cette étape, le texte risquerait de devenir seulement un prétexte pour ne jamais sortir de nos pensées (no 87). Lire en vérité exige patience et attention, surtout lorsqu’il s’agit de passages que nous avons déjà lus ou entendus plusieurs fois. Plus un texte est connu, moins il est lu. Le lecteur ne prend plus le temps de lire lentement, à tête reposée, en regardant chacun des mots qui constituent la trame du récit ! (Pierre Moitel, Cahiers Évangile, no 98, p. 61). Les étapes de la méditation et de la prière bénéficieront de cette lecture attentive.
Nous lisons un texte, mais, dans la foi, nous écoutons une Parole qui nous est adressée aujourd’hui. Pour favoriser notre accueil, il est bon de lire le texte à haute voix si possible, ou du moins en prononçant chaque mot intérieurement. Certains jours, on prendra même le temps d’écrire le texte ou des passages ; ce qui nous permettra d’encercler des mots, de souligner des phrases, afin de mieux soutenir notre écoute attentive. Dans cette démarche, on peut avoir recours à des passages parallèles ou complémentaires de la Parole de Dieu, aux notes de notre Bible et parfois à un bref commentaire. Des questions pourront surgir; attardons-nous seulement à celles dont la réponse contribuera à éclairer et à faire grandir notre foi…
Méditer et ruminer la Parole
« Que nous dit le texte biblique ? », demande Benoît XVI. C’est le moment de réfléchir au plus près de ce que nous vivons, au plus près de nos combats et de nos désirs, de nos désespoirs ou de nos espoirs. Il ne s’agit pas de nous approprier la Parole de Dieu, mais de nous laisser questionner ou confirmer par cette Parole qui veut nous transformer et nous configurer à celui en qui nous croyons. Par la méditation, nous cherchons à découvrir comment cette Parole de Dieu nous rejoint dans notre aujourd’hui de salut, ne perdant jamais de vue que la Parole de Dieu est la Parole d’un Dieu qui nous aime.
Certains jours, la Parole nourrira notre foi et renouvellera notre espérance, comme le prophète Élie en a fait l’expérience. D’autres jours, elle pourra trancher à vif dans notre vie, nous sortant de notre sommeil, de nos fuites et de nos mensonges. Elle pourra nous jeter à terre comme saint Paul, avant d’ouvrir nos yeux à la lumière. Elle pourra briser notre cœur dans la prise de conscience de notre péché ou le dilater dans la prise de conscience de la miséricorde inépuisable de notre Dieu. Elle pourra nous jeter à genoux devant l’amour patient qui nous a pardonné. Elle pourra nous sortir de nos tombeaux et nous mettre debout comme Lazare. Elle pourra nous combler de la joie du salut et nous ouvrir au partage, à l’exemple de Zachée. Elle pourra encore nous apprendre l’adoration en esprit et en vérité, comme à la Samaritaine. Dans tous les cas, la Parole de Dieu demeure une « parole de vie » (Philippiens 2,16) !
Dans cette méditation de la Parole, il est bon de prendre le temps de « ruminer » et de savourer un mot ou un court passage que nous retiendrons comme plus nourrissant pour nous. Un fruit se goûte. Un bon vin se déguste : on prend le temps de « se le mettre en bouche ». Le texte aussi (Pierre Moitel, Cahiers Évangile, no 98, p.61).
Prier et répondre à la Parole
C’est maintenant le moment de répondre au Dieu qui nous parle : Que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ?, demande encore Benoît XVI. Il ne s’agit pas d’élaborer de « belles pensées sur Dieu » - si profondes et si élevées soient-elles - mais de lui parler comme l’on parle à un ami, même si cet ami demeure le tout Autre, le Dieu trois fois saint. Notre prière pourra progresser de la supplication à l’action de grâce, de la demande à la reconnaissance, de l’angoisse à l’apaisement, de la tristesse à la jubilation…
Dans ce moment de dialogue avec Dieu, permettons à sa Parole de nous visiter, en nous éclairant, en nous faisant entendre de nouveaux appels et en nous transformant. Il s’agit de donner à la Parole, le temps d’habiter tout notre être et de descendre dans nos profondeurs pour les évangéliser… Nous prenons alors conscience de notre être véritable et nous recevons un appel à devenir plus authentiquement nous-mêmes : des enfants de Dieu créés, sauvés et appelés à la gloire, par un Dieu qui nous aime.
Cette prière pourra s’épanouir en silence : silence de la présence goûtée, silence d’admiration, d’adoration ou de contemplation déjà. Lorsqu’une phrase, un verset, un mot, dans la prière personnelle saisit l’âme, fait tressaillir le cœur, il faut s’arrêter, s’enfoncer dans cette « intuition de Dieu », cesser de multiplier les mots, trouver le silence au cœur de la parole, l’Esprit... (Olivier Clément, Les carnets du Val, no 17, p. 15). Notre prière pourra se condenser dans une phrase ou un mot que l’on aimera répéter au rythme de notre respiration.
Contempler et goûter la Parole
Dans le prolongement de notre méditation et de notre prière, l’expérience contemplative se reçoit comme un don gratuit ; quand elle nous est donnée, c’est un moment de plénitude, humble approche du mystère de Dieu ! Il ne s’agit pas d’une extase en dehors du temps et de l’espace, mais d’une saisie de tout notre être en présence de Dieu, dans une paix et une joie profondes. Contempler, c’est d’abord « voir et goûter toute la douceur de Dieu », ainsi que l’affirme saint Bernard, s’inspirant d’un psaume (Psaumes 33, 9).
Contempler, c’est aussi apprendre à voir le monde, les autres et nous-mêmes avec les yeux de Dieu, c’est-à-dire avec des yeux qui aiment et qui bénissent. C’est devenir capables de regarder nos sœurs et nos frères en humanité avec des yeux leur révélant à eux-mêmes leur beauté de femmes et d’hommes sauvés.
Incarner la Parole et désirer qu’elle nous transforme
La lectio divina ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne débouche pas dans l’action, qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité, rappelle judicieusement Benoît XVI. Le moment de l’écoute priante est terminé, mais non pas celui de la rencontre avec Dieu ! Il s’agit de vivre toujours plus à son écoute : les oreilles et les yeux ouverts, le cœur et l’esprit ouverts, de même que les mains ouvertes, disposés à reconnaître le Seigneur et à le servir. Le fruit durable de la lectio, ce sera une union toujours plus profonde au Christ, une conformation à son être filial, source de la véritable fécondité !
Nous avons encore à découvrir et à croire que la Parole écoutée et ruminée avec amour continue à agir dans nos cœurs, même à notre insu. Certes, écouter la Parole en vérité, c’est chercher à faire la Parole, mais c’est aussi nous laisser faire par la Parole qui nous transformera progressivement : « Qu’il me soit fait selon ta Parole », pouvons-nous dire à la suite de la Vierge Marie (cf Luc 1, 38). Accueillie avec foi, la Parole travaille secrètement dans les profondeurs de notre être, dans cette part de nous-mêmes qui nous reste cachée : « Tu veux au fond de moi la vérité, dans le secret tu m’apprends la sagesse » (cf. Psaumes 50, v. 8).
Ouverture sur un infini…
Écouter la Parole de Dieu éveille en nous le désir de l’écouter encore, car sa richesse est inépuisable :
Si tu étudies toute ta vie les livres sacrés, tu n’en seras jamais rassasié, au contraire : l’exigence d’un approfondissement grandira en toi; parce que la mesure de la parole de Dieu est la mesure même de Dieu, c’est-à-dire l’infini. […] Cette parole te porte : à mesure qu’elle se réalise en toi, elle te soulève et te dilate de plus en plus ; et finalement, elle occupe toute la place en toi, à sa mesure : il n’y a plus qu’elle qui vit en toi (Divo Barsotti, Ruth. La parole et l’esprit, Téqui, 1977, p. 126-127).
Puissions-nous en arriver à déclarer avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2, 20).
Revue EN SON NOM, Vie consacrée aujourd'hui
Vol. 76 No. 1 / Janvier - février 2018
* Ordonné prêtre le 8 juin 1968. Après une expérience missionnaire au Nicaragua et un travail pastoral dans son diocèse de Saint-Anne-de-la-Pocatière, il est admis à l’Abbaye cistercienne d’Oka, où il s’engage par les vœux solennels en 1989. Élu abbé en 1990, il initie avec sa communauté, en 2002, le processus de transfert au Val Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha. Il a été nommé évêque dans son diocèse d’origine, en 2008.
Photo©Le Placoteux
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